Voici un extrait d’un article récent paru dans le magazine Infos-pilote au sujet de la pertinence de faire des points fixes au sol en cette période de confinement de nos avions.

Aujourd’hui, il n’existe que 4 motoristes, au niveau mondial, qui se partagent le monde de la motorisation à pistons certifiée. Et encore, l’un d’entre eux ne produit que des moteurs Diesel et un autre recommande l’utilisation de l’essence auto en lieu et place de l’AVGAS.
-Austro Engines
-Continental Aerospace Technologies
-Lycoming
-Rotax
Tout le monde s’accorde à dire qu’un moteur d’avion qui ne tourne pas est un moteur qui va connaitre une fin précoce. En cette période de confinement, on a raison de se poser des questions sur la santé de nos moteurs, puisque l’on ne peut pas voler.
Une exception à la règle du confinement strict est apparue ces derniers jours, prévoyant que les aéroclubs peuvent déléguer un pilote pour lui permettre de braver les règles de confinement pour aller faire tourner les moteurs des avions. Il s’agit de faire taxier les avions au sol ou de pratiquer un point fixe pendant une vingtaine de minutes. L’idée sous-jacente est que cela va faire du bien au moteur, le laver de l’intérieur et laisser une couche d’huile protectrice sur toutes les surfaces métalliques.
C’est bien une idée reçue. La pratique du point fixe est décriée par les constructeurs de moteurs qui expliquent de manière claire que c’est une aberration susceptible de favoriser une croissance exponentielle et rapide de la corrosion interne.
Pourquoi limiter au maximum les points fixes au sol ou le roulage au sol ?
Comme vous le savez tous, les moteurs à piston brûlent un mélange d’air et d’essence. Cette opération provoque l’explosion qui fait que les pistons s’animent.
Mais on obtient aussi des résidus de combustion. Par la force des choses, ces résidus de combustion finissent dans l’huile. En fait dans le tréfonds du moteur, on trouve l’huile, les résidus, de l’acide et de l’eau. « De l’eau ? N’importe quoi ! » vont clamer certaines voix. Pour pouvoir se convaincre de la présence d’eau dans nos carters d’huile, il suffit de se souvenir de quelques principes de physique élémentaire. De l’air humide chaud rencontrant un abaissement de température soudain va se condenser en fines gouttelettes. Un moteur chaud, lorsque l’on tire la manette de richesse pour l’étouffer, contient de l’air humide (au même titre que l’air ambiant). Le moteur refroidit, de l’air à température ambiante pénètre dans le moteur et les cylindres, CQFD. À chaque arrêt moteur, on « crée » une certaine quantité d’eau qui ne peut pas s’échapper du carter. L’eau naturellement va directement au fond du carter. Ceux qui douteraient encore peuvent verser un peu d’huile de cuisson dans un verre et, ensuite, quelques gouttes d’eau. Le résultat est évident.
De l’eau, de l’huile et quoi d’autre ?

Lorsque le moteur tourne et brûle l’essence dans les cylindres, la combustion n’est jamais malheureusement complète. En fonction de la richesse du mélange, de l’état du moteur, du réglage des magnétos et de bien d’autres paramètres encore la détonation se fait au moment idoine ou est un peu décalée par rapport au moment idéal. C’est l’un des défauts majeurs de nos systèmes d’allumage (magnétos associées à un système d’injection mécanique ou à un carburateur) par rapport à un système entièrement électronique et piloté par microprocesseur.
Cette combustion incomplète provoque l’apparition de résidus de combustion. On y retrouve, dans le cas de l’AVGAS, du plomb, mais aussi une petite quantité de carbone, des produits chimiques variés plus ou moins carbonisés, mais aussi des résidus acides. Une partie de ces déchets quitte le moteur par les soupapes d’échappement, mais une grande partie reste emprisonnée.
En fonction des réglages de mixture et des températures de fonctionnement, la quantité de déchets varie énormément. Plus la température de fonctionnement du moteur est basse, plus la quantité de déchets augmente. Plus la durée de fonctionnement est faible, moins on brûle de dépôts. On en tire donc l’axiome toujours vérifié suivant : un moteur qui tourne peu de temps à température basse s’encrasse beaucoup plus vite qu’un moteur qui tourne longtemps à sa vitesse de rotation idéale et à température nominale. (Rappelez-vous votre voiture que vous « décrassez » sur l’autoroute après trois mois d’utilisation intensive en ville).

Cette image d’un moteur auto montre bien comment l’huile, progressivement décomposée par les actions combinées de l’eau, des acides et des résidus de combustion, se transforme en une matière gluante, incapable de lubrifier quoique ce soit. Pour ne pas en arriver là, avec des moteurs dépourvus de tout système électronique d’injection et d’allumage, une seule solution: vidanger régulièrement l’huile, changer en même temps le filtre et faire tourner le moteur en vol et aux températures nominales. Si tout celà se révélait impossible, il reste la solution du stockage.

Température et santé
Cela pourrait paraitre ironique et de mauvais gout… Mais c’est une donnée essentielle pour la santé de nos moteurs. Une nouvelle croyance se répand depuis quelques années dans le monde de l’aviation générale. Cette croyance dit la chose suivante : « plus la température CHT (température des têtes de cylindres) est basse, mieux cela vaut pour la santé du moteur ». C’est une aberration de plus ! Un moteur est conçu pour tourner dans des limites de paramètres bien définies. La température de tête de cylindre est une indication finalement forte peu précise. Elle donne une température moyenne du métal, mais en aucun cas une idée des variations de température observées à l’intérieur du cylindre. On injecte un mélange froid dans la chambre de combustion, alors que quelques millisecondes plus tôt une explosion vient de se produire. Imaginez-vous les différentiels de température à l’intérieur du cylindre lorsque ce cycle se produit plusieurs fois par seconde ? Nous avons déjà admis qu’il y a des restes de combustion qui sont produits à cycle. Nous avons aussi accepté le fait qu’une partie s’est vaporisée par la soupape d’échappement. Mais le reste, qu’advient-il de lui ? Idéalement, il est brûlé par la température ambiante lors de l’explosion suivante. Mais si celle-ci n’atteint pas une température suffisante, parce que le rapport stœchiométrique de 15 parties d’air pour une partie de carburant n’est pas respecté, ou que la puissance affichée est faible, avec une température extérieure faible et un mélange trop riche (ou toute combinaison de ces paramètres), la température générée ne permettra pas de brûler les résidus.
Pensez simplement à votre four de cuisine. Si vous mettez à cuire un magnifique poulet sur la plaque de cuisson ou sur la broche intégrée, la chaleur sera suffisante pour faire fondre les graisses. Sur le métal chaud, elles vont brûler, mais laisser un dépôt charbonneux immonde et malodorant. Vous en serez quitte pour une séance de vaisselle digne de l’enfer de Dante ou pour un cycle de pyrolyse.
Après le cycle de pyrolyse, les dépôts si difficiles à nettoyer auront disparu ne laissant que quelques cendres dont le volume est ridicule par rapport à la masse de graisse initiale. Un simple coup d’éponge suffira à les éliminer.
0Autre facteur très important, la température de l’huile. Nos huiles de synthèse, semi-synthèse ou minérales, sont prévues pour atteindre leurs propriétés de lubrification dans une plage de températures donnée. Trop froides, elles ne sont pas suffisamment efficaces, trop chaudes, elles perdent certaines de leurs facultés.

Il faut donc que l’huile moteur atteigne une certaine température pour être pleinement efficace. L’huile contient, le plus souvent des additifs chimiques destinés à favoriser le « lavage » ou la combustion, des résidus de combustion (« Ashless Dispersant Oil »). Ces additifs atteignent leur pleine efficacité dans une plage de températures données. Un peu comme dans le cas de la pyrolyse d’un four (mais les températures ne sont pas les mêmes).
Il est temps de mélanger huile et eau
C’est un trait d’esprit, bien évidemment ! Il n’en reste pas moins que nous avons de l’eau dans le fond du carter.
Ce qui provoque la corrosion dans un moteur, c’est le mélange d’acide et d’eau sur des surfaces métalliques non traitées contre la corrosion. Autrement dit, les cylindres, les pistons, les embiellages, l’arbre à cames, le vilebrequin sont les mieux placés pour voir la corrosion apparaitre. Et cela, malgré le nitrurage de certaines pièces.

Lorsque l’on fait un point fixe de vingt minutes, l’élévation de température de l’huile n’est pas suffisante pour faire en sorte que toute l’eau contenue dans le mélange s’évapore. C’est bien compréhensible : pour que l’eau s’évapore et sorte de moteur sous forme de vapeur, il faut qu’elle soit à l’état de vapeur. Donc que sa température ait été portée au-dessus de 100 °C au niveau de la mer. On se souviendra que le point d’ébullition de l’eau dépend de la pression atmosphérique, donc de l’altitude…
Quelle est la température d’ébullition de l’eau à l’altitude de 700 m ? La température d’ébullition de 97,7 °C.

Ce phénomène est bien connu des alpinistes qui veulent se faire une soupe ou un thé.
Mais il est inconnu des pilotes. C’est bien dommage. Il explique pourtant ipso facto pourquoi il est bien plus intéressant de faire voler un avion pour se débarrasser de l’eau contenue dans l’huile que de le faire au niveau du sol !
En montant à 9000 ft, il suffit que l’huile atteigne 89° au lieu de 100 ° pour que l’eau soit transformée en vapeur. Cet exemple est valable à 1013.25 HPA. Si la pression atmosphérique diminue, le point d’ébullition descendra plus vite. C’est le principe de la cocotte-minute.
Le scénario idéal
Ce que recommandent Lycoming et Continental est identique :
Au moins une fois par mois, faire voler l’avion pendant une période suffisante pour que :
Le moteur atteigne les températures de fonctionnement normales
Que l’huile moteur atteigne sa température de fonctionnement idéale et permette d’évaporer l’eau contenue dans le carter d’huile
Que les températures CHT soient suffisamment hautes pour que le maximum de résidus de combustion soit éliminé
Au retour du vol, l’eau a complètement ou presque disparu du carter d’huile, les résidus de combustion générés par le vol ont été pyrolysés, une partie de la « crasse » contenue dans l’huile a fait de même. Le fond de carter est plus propre et une bonne partie des acides présents se sont évaporés. Un film protecteur d’huile relativement propre s’est déposé sur l’intérieur du moteur. Un peu de condensation va se former, mais, tout le circuit étant plus propre, et la quantité d’eau inférieure, le moteur restera en bonne santé beaucoup plus longtemps.
Comment corroder son moteur ?
En faisant des points fixes répétés au sol et en laissant le moteur à l’arrèt pour une période significative après cela.
En faisant tourner un moteur au sol, on soumet le moteur à plusieurs agressions :
Le moteur, refroidi par air et par huile n’est pas refroidi normalement. Il manque l’air dû à la vitesse relative de l’avion en vol. C’est un manque énorme. Les cylindres vont chauffer, proportionnellement à la normale, à toute vitesse par rapport au bloc. L’huile ne va pas monter en température régulièrement.
On va tourner « plein riche » au sol, pendant une période de temps relativement longue. Donc avec un mélange trop riche. On va salir les bougies et créer plus de résidus de combustion.
Du coup, il se passe plusieurs choses :
On envoie de l’huile, de l’acide, de l’eau et des résidus de carbone un peu partout dans le moteur. Et il n’a pas besoin de ça.
Pendant le point fixe ou au roulage, il n’y a pas d’écoulement d’air suffisant pour refroidir correctement le moteur. Il n’a jamais été prévu pour tourner comme çà. Les températures de cylindres peuvent s’envoler, alors que la température d’huile reste beaucoup plus basse. Cela dépend du temps que le moteur va tourner. En vingt minutes, on aura du mal à faire monter la température de l’huile à la valeur nécessaire pour évaporer l’eau sans faire monter la température des cylindres trop haut.
On a donc arrosé le moteur de substances nocives alors, qu’avant le point fixe, le film d’huile qui était en place après le dernier vol était encore un bon protecteur.
Si un peu de corrosion existe dans les futs des cylindres, le segment racleur va l’éliminer. Tant qu’il ne s’agit que de corrosion de surface, ce n’est pas très grave. La corrosion détachée va finir dans le fond du moteur, c’est pour cela que l’on recommande de faire une vidange très vite après qu’un moteur n’ait pas tourné pendant une période allant de 1 à trois mois. (Encore une fois, le cas des avions exposé à l’air marin ou en climat chaud et humide est une autre histoire). On va voler une heure ou deux, et ensuite, une vidange et changement des filtres. Un filtre à huile et 8 litres d’huiles sont moins chers qu’un cylindre ou un arbre à cames. Par contre, ne jamais garder l’huile qui était dans le moteur si l’avion n’a pas tourné pendant deux à trois mois, même si une vidange a été faite peu de temps avant.
Les constructeurs recommandent de stocker un moteur s’il doit rester inactif plus de trois mois. Vous pensez bien qu’un constructeur américain (Lycoming et Continental donnent les mêmes instructions de stockage) prend des marges de sécurité très sérieuses pour toutes ces recommandations. Imaginez le nombre de procès que ces constructeurs auraient vu arriver, si au bout de deux mois d’inactivité les moteurs étaient corrodés…
Beaucoup mieux que de faire tourner un moteur au sol, il convient de stocker le moteur. On le remplit d’une huile spéciale et on est tranquille une bonne fois pour toutes (au moins six mois ou un an suivant la procédure retenue). Il suffit de vidanger avant de remettre en vol. D’expérience, c’est de loin la meilleure solution si l’on ne veut pas laisser un moteur inactif, quelle que soit la durée d’immobilisation. Si l’on sait qu’un avion va rester immobilisé deux mois ou plus, le stockage est la meilleure solution.
Une exception.
Les moteurs des avions qui sont basés en climat marin ou en climat chaud et humide. Là, il faut prendre ces mesures beaucoup plus vite.
Le problème en aviation générale, c’est que beaucoup d’informations viennent du bar de l’escadrille. On fait plus confiance à l’homme qui a vu l’homme qui croit avoir vu l’ours, qu’aux ingénieurs et spécialistes qui ont le savoir, l’expérience, les données statistiques et des données de fabrication et de certification.